Manger ou s’habiller il fallait choisir
Et non, je ne me suis pas trompé d’image. Ceci est un sac contenant de l’urée, fabriquée au Japon. Dans les années 60 en Chine, les sacs d’urée importés du Japon était très recherchés. C’était la seule alternative au coton pour se fabriquer des vêtements. La solidité de ces sacs permettait de faire des vêtements durables.
Voici un pantalon fabriqué avec un sac d’urée japonais. On distingue encore les écritures du sac dessus.
Car en effet, s’habiller en Chine était un énorme problème insolvable. Ceux qui portaient des vêtements cousus avec un sac d’urée étaient privilégiés. Le reste de la population s’habillaient comme ils pouvaient, c’est à dire, avec presque rien.
Le problème est qu’au nord de la Chine vers la frontière avec la Mongolie ou la Sibérie, il fait entre -20C° et -40C° en hiver. Comment faire pour ne pas mourir de froid? C’est toute une logistique.
L’indispensable est le coton. Chaque famille devait avoir son stock de coton, sa machine à coudre et des tissus. Et là, de nouveau, les chinois avaient d’énormes difficultés à se procurer de la matière première à savoir le coton et le tissus ( faits en coton ). Le coton était rationné comme la farine, l’huile alimentaire, le sucre, les chaussures, la viande, les œufs… et la liste est encore longue. En comparaison, la Corée du Nord d’aujourd’hui aurait été le paradis pour les chinois vivant entre les années 50 et 70.
Chaque famille devait faire un stock de coton pour rembourrer les vêtements et les couettes. C’est la corvée. Mais tout le monde n’avait pas le coup de main. Il faut que le coton soit uniformément réparti entre les tissu. On en respire plein les poumons, ça collait partout. Pire, le coton ne se lave pas. Il faudra donc retirer le coton des couettes et des vêtements au printemps, les étaler au soleil pour les désinfecter aux UV. Et le plus important, il faut battre le coton pour décoller les morceaux agglomérés. C’est un travail harassant qu’on faisait faire aux batteurs de coton.
L’artisan batteur de coton avait un arsenal très spécial. Le but étant de placer une corde à différente couche d’un énorme tas de coton et la faire vibrer, telle qu’une corde d’harpe. Mais la musique qui n’a qu’une seule note, se répète des dizaines de milliers de fois par jour pour battre les cotons de 2 ou 3 familles à peine. Un métier monotone et fatigant, qui demande une dextérité particulière car si le coton n’est pas assez bien battu, son pouvoir d’isolation thermique en sera diminué, et le client risque d’attraper la mort l’hiver prochain. Une famille qui prenait soin de son coton pouvait le garder une petite dizaine d’années.
Le coton est une plante qui consomme énormément d’eau. Un kilo de coton nécessite près de 10 000 litres d’eau douce. C’est absolument phénoménal. Et pour fabriquer un T-shirt, il en faut 1.3Kg. Tout n’est pas sur le t-shirt, car le 1.3Kg de coton se transforme en suite en 300g de fils qui seront sur le t-shirt.
Savez-vous ce que je pense du fast fashion?
Mais en Chine des années 50-70, on ne connaissait pas le fast fashion. Il gouvernement devait faire un choix entre nourrir les gens et les habiller décemment. La priorité a été donnée à l’alimentation, tant pis pour la garde robe de madame, on verra ça un autre jour. En effet, dans un pays aride et accidenté comme la Chine qui compte d’énormes déserts et montagnes de granite, les terres arables sont rares tout comme l’eau douce. Il n’était pas question de cultiver du coton à la place de la patates douce.
Alors, un vêtement pouvait être porté par au moins 2 générations sur une bonne dizaine d’années. Il ne fallait pas le laver trop souvent. Le lavage à la planche à laver abîme le tissu. Et oui, les chinois étaient sales mais ils n’avaient pas le choix. Après toutes ces années, le vêtement n’était pas encore au bout de ses peines. Il devenait torchon, essuie-tout ou couche lavable pour la 3ième génération qui arrive…
Et en 1950, on est loin de l’époque où les puissances coloniales s’appuyaient sur une armée d’esclaves dans les champs de coton pour satisfaire les besoins colossaux en Europe. Les empires chinois successifs pendant 2000 ans n’ont jamais eu d’idée semblable. Alors que faire?
Au début des années 70, la Chine s’est lancée dans une aventure qui va durer 45 ans: être auto-suffisante et indépendante en matière d’habillement.
C’est alors qu’on a bâti une usine pétrochimie:上海石化 Shanghai Petrochemical
Codée en bourses et diversifiées en 2024, c’était une usine d’une dimension nettement moindre en 1970. Le but était de fabriquer du térylène, le premier tissu en polyester.
Inventé par les britanniques durant la seconde guerre mondiale, il a été démocratisé dès 1948 en Occident. En Chine, il s’agissait de réinventer la poudre 25 ans après. Et il a fallu encore quelques années de travail acharné pour y parvenir en 1979.
C’est alors que le gouvernement central lance un vaste programme de pétrochimie dont le but était de faire les premiers pas vers l’auto-suffisance de l’habillement, et intrinsèquement, celle de l’industrie pétrochimique.
Ceci est un document de travail du district de YangZhou quant au lancement de la construction de l’usine pétrochimique dans la région. Il date de 1977, donc, post-révolution-culturelle. On y parle de briser la bande des 4 et d’un certain président Hua: 华国锋. Un président qui a marqué l’histoire contemporaine de la Chine pour avoir tiré un trait sur un passé catastrophique: arrêt total de la révolution culturelle et de la lutte des classes, lancement des réformes structurelles, afin que son successeur, un certain DengXiaoPing puisse partir d’une base saine, mais on en reparlera dans un autre article.
Parmi tous les tickets de ration, celui du tissu est le premier à disparaître. C’était presque dommage quand on sait que les mariés pouvaient avoir une ration supplémentaire. Ces images montrent les derniers tickets de ration émis en 1984.
Et bien sur, les femmes ont sauté sur l’occasion pour se faire belles. Et elles ont bien raison. En seulement une petite décennie, les usines de Térylène ont poussé comme des pousses de bambou après une bonne averse. La capacité de production chinoise explose pour satisfaire les besoins domestiques, et ils sont absolument énormes. Ce ne sont pas seulement les vêtements. Couvertures, rideaux, gants, capuches, chaussures, parapluie… Les surfaces à couvrir sont astronomiques. Là où la pluie mouille dés la première goûte, le Térylère permet d’améliorer l’imperméabilité et l’isolation thermique. Mélangé avec du coton, on obtient un tissu qui laisse transpirer plus facilement. C’est le bonheur.
Mais la Chine devait encore affronter une dernière épreuve avant d’atteindre l’indépendance totale: le processus de fabrication des hydrocarbures aromatiques. Car le Térylène est obtenu par condensation d’hydrocarbures aromatiques dont les brevets étaient détenus notamment par la France et les USA. L’importation des matières premières pour la fabrication de Térylène coûtait très cher. L’essentiel des profits allaient aux détenteurs de brevets.
Le 15 Décembre 2013, Sinopec réussi à fabriquer du térylène avec une domestication technique à 100%. La poudre a été réinventée pour la 2ième fois. Cette étape a coûté 30 ans de recherche aux chinois, et marque la fin d’une longue épopée d’un demi siècle dont le but est de s’habiller décemment tout en restant indépendant.