27 avril 2023

Taïwan: Acte II – indépendance et séparatisme

Par serge delain

Le génocide

Mon précédent article sur l’île de Taïwan fait un bref résumé de son histoire jusqu’en Octobre 1945, date de la libération de l’île de la colonisation Nipponne. Une colonisation particulièrement brutale dont les bourreaux japonais ne se sont pas contentés de tuer. Ils ont procédé à ce qu’on appelle “impérialisation du peuple Taïwanais”.

Il s’agit de la japonisation forcée de tous les habitants de l’île. La police japonaise procédait des contrôles extrêmement invasifs. Ils allaient jusqu’à vérifier l’agencement des meubles dans les habitations qui devait obéir à la tradition japonaise. Les contrevenants risquaient des châtiments corporels très sévères

En plus de cela, des crimes contre l’humanité sous forme de tuerie de masse ont été commis. Des villages entiers ont été vidés de leur habitants. Les villageois étaient massacrés comme du bétail par dizaines de milliers.

D’après ce long document publié par 國立政治大學 ( L’Université Politique Nationale de Taïwan ) au Mois de Mai 2006, à la rubrique Histoire du journal de campus, le génocide était la ‘norme’ sur l’île.

A la page 8 du rapport, il est écrit:

依據估算,於 1895-1902 這八年間,在日本帝國軍事暴力和法律暴力的雙重鎮壓下,台灣住民約有 3 萬 2 千名,亦即超過當時台灣總人口的百分之一,遭新來的殖民地統治者殺害;且平均約每 25 名年輕台灣人男子,就有 1名死於抗日行動。

http://ntur.lib.ntu.edu.tw/bitstream/246246/83814/1/10.pdf

Selon les estimations, sur la seule période de 1895 à 1902, sous la brutale répression à la fois militaire et légale de l’empire japonais, Il y a eu environ 32000 habitants, soit plus de 1% de la population de Taïwan ont été massacrés par les nouveaux colons; soit 1 mort sur 25 habitants masculins meurt en résistant.

…1915 年 5 月即在台南地方法院開設臨時法院,以備審理匪徒罪被告,從同年 8 月底至 10 月底公開審理領導人余清芳及其部眾。移送至台南臨時法院的匪徒案件,經檢察官為不起訴者有 303 人,但被起訴者仍有1,430 人,法院判決的結果是:死刑 866 人(約佔 60%)、有期徒刑 453 …

Ce passage mentionne l’aspect “légal” du génocide commis par les japonais sur l’île. sur 1430 condamnations au tribunal du sud de l’île, il y a eu 866 peines capitales, soit 60% des condamnations.

Mais cette brutalité sans pareille a aussi fait naître quelques individus vendus à la cause Nipponne. 辜宽敏 le fondateur du mouvement indépendantiste sur l’île par exemple, dont le père avait ouvert les portes de la ville de Taipei aux troupes japonaises.

Mais il y a quelqu’un d’autre qui, très tôt, œuvre pour l’indépendance de l’île. Mais pour parler de lui, il faut qu’on parle de l’incident de “228” qui s’est produit en Février 1947, soit 2 ans et demi avant la proclamation de la République Populaire de Chine.

Incident de “228”

Fond historique: La genèse de l’indépendance – la tentative japonaise

Du 29 Mai 1895 au 21 octobre 1945, Taïwan était une colonie japonaise. Mais la conférence du Caire de 1943 a stipulé que Taïwan ainsi que toute la Mandchourie devraient être restitués à la République de Chine avec Tchang au pouvoir.

Conférence du Caire: de gauche à droite – Tchang. Rossevelt. Churchill. le 25 Novembre 1943

Après la capitulation sans condition du Japon, toute l’île de Taïwan fêtait le retour sous le giron du pouvoir au continent et attendait avec impatience l’arrivée de nouveau gouverneur chinois sur l’île, prévue pour le mois d’Octobre de la même année.

Mais c’est durant les 2 mois du vide politique sur l’île que la graine indépendantiste a été plantée. Une graine laissée par d’anciens collons japonais.

L’annonce de la capitulation sans condition n’était une surprise pour personne au Japon. Les hauts gradés s’y attendaient depuis un certain temps.

Immédiatement après le 15 Août 1945, le dernier gouverneur général japonais de Taïwan Rikichi Andō ( 安藤 利吉 )

Le dernier gouverneur japonais de Taïwan: Rikichi Andō

a réuni quelques notables taïwanais pro-Tokyo afin d’organiser “l’autodétermination” de l’île de Taïwan avec les 400000 soldats survivants de l’armée impériale japonaise.

Une réunion secrète a eu lieu à CaoShan ( YinMingShan de nos jours ). Mais très vite, Ando se rendit à l’évidence. L’indépendance de Taïwan en vue de résister aux alliés et de continuer la guerre n’était pas réaliste. Le 22 Août 1945, il dut reconnaître son devoir d’obéissance à l’empereur et d’accepter la capitulation.

Cet évènement de cette courte semaine est totalement occultée par l’euphorie des taïwanais à la suite de la capitulation japonaise, mais sans pour autant passé inaperçu.

Les renseignements de la République de Chine ont transmis l’information à Tchang-Kai-Check. C’est la première fois que le pouvoir central chinois prend conscience de l’existence de tel projet. Sans hésiter, Tchang a ordonné une enquête sur les indépendantistes.

Le 29 Juillet 1946, tous les participants de la réunion de CaoShan sous l’autorité de Ando en 1945 ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour “séparatisme en bande organisée”.

Parmi les condamnés, il y a le cas de 许丙 ( XuBing ).

许丙: XuBing – condamné pour séparatisme en 1946 à Taïwan

Après avoir purgé sa peine sur l’île, il a tout de même continué à maintenir des liens avec le Japon au sein de diverses associations culturelles Japonaise, sous étroite surveillance des autorités de Taïwan.

Le génocide culturel

C’est ici que je souhaite parler du génocide culturel exercé par les colons japonais à Taïwan.

Et oui, pourquoi des individus comme XuBing, entretiennent des liens si intimes avec les anciens bourreaux ?

En effet, le Japon voulait faire de l’île un modèle de colonisation pour ses nouveaux territoires conquis: La Mandchourie en Chine continentale par exemple.

Taïwan devait être un Japon parfait en miniature. Tout s’est fait dans la brutalité et rien n’a été laissé au hasard.

Rituels, fêtes, langues et écritures, habillements, architecture, croyances, gastronomie, agencements intérieurs des habitats et bien sur, l’enseignement ( très important ), les noms de famille et prénoms devaient être japonisés. Tout contrevenant risquait des châtiments corporels, des peines de prison, voire la mort, si on en vient à lui coller un soupçon de résistant ( tout ça pour un vase mal placé… ).

Des taïwanais essayaient de pratiquer le Chinois en secret en risquant leur vie et celle de leur famille et proche. Des réunions secrètes avaient lieu pour apprécier la littérature et les traditions chinoises.

Mais 50 années, c’est long. Peu à peu, la nouvelle génération née sous colonisation japonaise ne connaissait que la culture japonaise. Certains se sont engagés dans l’armée impériale et se battaient avec encore plus de férocité que les soldats du Japon.

Le génocide culturel était radical.

Et cela explique le fait que l’idée de “l’autodétermination” de Rikichi Andō ait pu trouvé un fort écho chez certains habitants et que Tchang-Kai-Chek ait insisté lourdement sur la sévérité de répression de la mouvance séparatiste de l’île bien avant même qu’il y ait mis les pieds en 1949.

Le retour compliqué et le séparatisme de nouveau – la tentative américaine

A partir de 1930, avec l’arrivée d’une nouvelle génération née sous la houlette japonaise, les rapports entre les habitants et les autorités commençaient à se détendre. Les habitants commençaient à gagner plus de droits et les rapports sont devenus plus cordiaux, voire amicaux.

Les japonais ont construire un réseau de transport efficace sur l’île, des hôpitaux, des écoles. L’éducation était de qualité et toute l’île était électrifiée.

Taïwan 1930: toute l’île était déjà électrifiée et tout était écrit en Japonais

Mais Taïwan était aussi un atout précieux pour les efforts de guerre du Japon. En plus des soldats fidèles, Taïwan fournissait aussi quantité de matière première comme le charbon et le riz.

Taïwan était considéré comme partie intégrante de l’empire Nippon.

Le perdre au profit de la Chine était dur à accepter. Ce territoire que le Japon a eu tant de mal à conquérir et à transformer pendant 50 ans.

Revenons en 1945. Le nouveau gouverneur 陈仪 ( ChenYi )envoyé par Tchang-Kai-Chek est arrivé sur l’île en Octobre.

Et ça ne se passe pas bien.

En effet, sous la colonisation Japonaise, l’île était strictement administrée. Les habitants bien éduqués, obéissaient aux autorités totalitaires sans broncher. Cet état d’esprit était incompatible avec un pouvoir corrompu venu du continent.

L’administration de Tchang était d’ailleurs connue pour sa corruption et incompétence dans bien des domaines. La jeunesse taïwanaise espérait prendre part au développement de l’île, mais écartée par le nouveau pouvoir qui pratiquait le copinage et la corruption active.

ChenYi ne comprenait pas les taïwanais et n’avait pas spécialement envie de les comprendre. Plus tard, il sera fusillé pour avoir tenté de se rendre à l’arme de Mao sur le continent. Mais c’est une autre histoire.

Comme au continent, la police nationaliste frappait souvent sans raison. Les anciennes entreprises japonaises ont été “nationalisées”. Mais réalité, ce sont les riches hommes d’affaire qui s’en sont emparées, créant le chômage de masse et une forte inflation des biens de consommation courante.

L’insécurité commençait à agacer les habitants et la police, trop corrompue, extorquait les innocents pour leur propre compte.

Le 27 Février 1947, c’est en voulant contrôler une vendeuse à la sauvette de cigarette que tout s’est déclenché. La vendeuse a été frappée à la tête et décéda plus tard à l’hôpital. Le policier a été pris à partie par les passants. Et en voulant effectuer un tir de sommation en l’air sans prendre de précaution, un habitant a été tué à sa fenêtre.

Deux morts en un jour par un policier corrompu et incompétent, c’en était trop. Les révoltes ont pris partout sur l’île dès le lendemain, le 28 Février, c’est le début du massacre de “228”.

J’ai un peu de mal à trouver qui était à l’origine de la décision de répression armée, mais les révoltes ont été réprimées dans le sang. Officiellement, il y a eu environ 300 morts. Certains parlent de milliers de civils abattus par des militaires envoyés par Tchang depuis le continent.

Beaucoup ont été abattus car ne comprenaient pas les ordres donnés par les soldats chinois. Plus de 60% des habitants de Taïwan ne parlaient que le Japonais à la libération en 1945.

Plusieurs hypothèses existent pour expliquer la décision de Tchang sur l’envoi de troupes pour réprimer les révoltes.

  1. ChenYi lui a simplement demandé des troupes d’appui en déformant la réalité.
  2. Un certain Georges H. Kerr, grand spécialiste américain des îles Formose était vice-consule US à Taïwan au moment des faits. Il aurait falsifié une lettre à George Catlett Marshall, le stratège militaire de Roosevelt pendant la seconde guerre mondiale et l’homme du plan “Marshall”, nommé de son nom. Dans cette lettre, des Taïwanais auraient demandé l’intervention US. Mais ce qu’on sait est que Kerr était partisan de l’attachement de Taïwan à l’administration US. Tchang aurait été mis au courant de cette lettre. Il ne pouvait pas ouvertement se séparer des US car trop dépendant des aides militaires américaines face aux troupes communistes. Alors, il a décidé de relever ChenYi de son poste de gouverneur, et de réprimer les révoltes dans le sang afin d’empêcher toute tentative séparatiste sur l’île.

Je ne suis pas très sur de la véracité de la deuxième hypothèse.

George H. Kerr

Kerr était effectivement un fervent partisan de l’indépendance ou l’attachement de Taïwan à l’administration américaine, mais dans son ouvrage “formosa betrayed

Il n’a pas fait mention d’une lettre demandant l’intervention américaine. Mais il a parlé d’une pétition présentée par la Ligue des jeunesse de Taïwan. La Ligue l’aurait chargé de la transmettre à l’ambassadeur US en Chine John Leighton Stuart.

Cette pétition a stipulé le désir de changement de gouvernance et surtout de combattre la corruption omniprésente sur l’île. Elle a également stipulé que l’île n’avait pas l’intention de rompre ou de changer la nature de relation avec le continent. ( Chapitre 13 Town Meetings, American Style ).

Mais les états-unis avaient effectivement un plan pour Taïwan.

Le plan américain – La guerre

Toujours selon Kerr qui a eu accès aux archives du Pentagone, Truman commençait à avoir des doutes sur la capacité de Tchang-Kai-Chek à résister aux communistes en Chine continentale.

Harry Truman en 1947

De plus, le général George C. Marshall a expliqué à Truman qu’il est impossible de faire coexister les nationalistes et les communistes en Chine et la guerre est inévitable. Marshall était d’avis de réduire les aides militaires et financières aux nationalistes pour ne pas s’embourber dans une guerre civile en Chine.

Au même moment, Truman était sous les feux de critiques car perçu comme trop indulgent avec les communistes.

Il a alors missionné le général Wedemeyer, celui qui a grandement contribué au pont aérien lors du blocus de Berlin en 1947, d’aller veiller sur le milliard et demi de dollars que Truman avait donné à Tchang.

Ce qu’a vu Wedemeyer en Chine n’était pas très encourageant.

Tchang, entouré de généraux corrompus et incompétents, n’était pas de taille face aux avancées des communistes.

L’idée de Wedemeyer était de bâtir une base aérienne et navale à Taïwan et d’y entraîner les troupes. Il suggère également de placer l’île sous la tutelle US.

Dans une lettre adressée au secrétaire d’état le 17 Aout 1947 ( mentionné dans le livre de Kerr ), Wedemeyer écrit:

There were indications that Formosans would be receptive toward United States guardianship and United Nations trusteeship. They fear that the Central Government contemplates bleeding their island to support the tottering and corrupt Nanking machine, and I think their fears well founded.

http://www.tzengs.com/FormosaBetrayed_GerogeHKerr.pdf
Albert Coady Wedemeyer

Kerr a également fait mention d’une conversation de deux heures entre un leader ( lequel ? ) et le consule américain sur l’avenir de Taïwan si le gouvernement de Tchang disparaissait. Le consule aurait promis sa protection de l’île et des aides financières et militaires.

Kerr semble être assez mécontent dans son livre. Il exprime toute son incompréhension du fait que les US aient promis la tutelle de Taïwan par l’administration américaine mais continue à soutenir Tchang.

En tout cas, c’est très bien qu’aucun des plans de Wedemeyer ou du consule ne soit mis au point car tous deux auraient transformé Taïwan en un champs de bataille dont l’île ne se relèvera pas.

En réalité, les états-unis avaient déjà œuvré pour placer l’île de Taïwan sous sa tutelle, non contre le gouvernement communiste puisque il n’existait pas encore, mais contre le gouvernement de Tchang-Kai-Chek.

C’est la raison pour laquelle, Tchang-Kai-Chek avait une haine viscérale des indépendantistes de Taïwan et il allait profiter de l’incident de “228” pour le faire savoir !